Le PDG de la Formule 1, Stefano Domenicali, pense (peut-être un peu naïvement) que l’arrivée de la catégorie reine du sport automobile au Qatar et en Arabie Saoudite pourrait contribuer à faire progresser la question des droits de l’homme dans ces deux pays.
Pour la première fois de son histoire, la Formule 1 débarque ce week-end au Qatar sur le tracé de Losail, ajouté au calendrier 2021 il y a de cela quelques semaines à la suite de l’annulation du Grand Prix d’Australie en raison des difficultés pour les organisateurs de mettre en place leur épreuve alors que les conditions de sécurité sanitaires liées au coronavirus n’étaient pas toutes réunies. A la suite de cette annulation, la Formule 1 a donc décidé de se rendre au Qatar, pays qui a signé un contrat décennal avec la catégorie reine et qui fera partie du calendrier officiel à partir de 2023 (la F1 n’ira pas au Qatar en 2022).
Après le Qatar, la Formule 1 se rendra en Arabie Saoudite également critiqué pour son bilan en matière des droits de l’homme, mais Domenicali a insisté sur le fait que l’arrivée de la Formule 1 dans ces deux pays pourrait avoir un impact positif sur la question des droits de l’homme : « Un changement aussi important ne peut pas se produire du jour au lendemain. C’est un changement culturel qui prendra du temps.« affirme l’Italien dans un entretien accordé à la BBC.
« Mais le timing sera accéléré par le fait que de grands événements sont là. Et la Formule 1 jouera un rôle important à cet égard. Si vous regardez de manière pragmatique ce qu’ils font, en termes par exemple [des droits des] femmes, ils ont des femmes à des postes importants dans les organisations, elles travaillent et respectent les réglementations. Je pense que les projecteurs que nous portons seront bénéfiques pour la volonté et les souhaits de changement que manifestent ces pays. Je ne pense pas qu’ignorer des pays et dire que nous ne voulons pas être là aidera la situation à s’améliorer. En fait, ce sera le contraire. Cela ne veut pas dire que tout est parfait, mais il est certain que ce que nous faisons et ce que nous approuvons va dans la bonne direction. »
Accusés de Sportswashing
Certains groupes de défense des droits humains comme Amnesty International n’hésitent pas à dire que le Qatar et l’Arabie Saudite utilisent un événement sportif comme un Grand Prix de Formule 1 ou la coupe du monde de football 2022, dans le cas du Qatar, comme un moyen d’amélioration de la réputation des pays concernés (sportswashing).
Récemment, Amnesty International a déclaré dans un communiqué : « Les pays riches du Moyen-Orient considèrent depuis longtemps le sport d’élite comme un moyen de renommer et de « laver par le sport » leurs images, et les courses de Grand Prix au Qatar et en Arabie saoudite s’inscrivent dans ce moule. »
« Ces deux pays ont des antécédents extrêmement troublants en matière de droits humains – des mauvais traitements systémiques infligés aux travailleurs migrants par le Qatar et ses restrictions draconiennes à la liberté d’expression, ou encore la répression radicale de l’Arabie saoudite contre les militants des droits humains et au meurtre notoire du journaliste Jamal Khashoggi. »
« En utilisant le glamour de la F1 pour essayer de détourner l’attention des violations des droits humains, le Qatar et l’Arabie saoudite espèrent qu’il y aura peu ou pas de discussion sur les questions de droits humains autour de ces courses – quelque chose qui ne doit pas être autorisé à se produire. La F1, les pilotes et leurs équipes doivent être prêts à parler des droits de l’homme au Qatar et en Arabie saoudite avant les courses, en faisant leur part pour briser le charme du « lavage sportif » et de sa gestion d’image prévue. »
« En particulier, la F1 devrait s’assurer que tous les contrats pour ces courses contiennent des normes de travail strictes dans toutes les chaînes d’approvisionnement et projets de développement d’infrastructures, et ses portes-parole – jusqu’à Stefano Domenicali [PDG de la F1] – devraient user de leur influence pour faire pression en faveur d’améliorations des droits humains dans les deux pays. »
Une liberté totale pour les pilotes
Le président de la Fédération de l’Automobile et de la Moto qatarie, Abdulrahman al-Mannai, a récemment assuré que les pilotes de F1 pourront s’exprimer librement au sujet de la situation des droits de l’homme dans l’émirat ce week-end dans le cadre du Grand Prix du Qatar : « Nous n’avons pas de problème avec cela au Qatar. » a-t-il déclaré à l’AFP.
Le Qatar est également régulièrement condamné par des ONG pour le traitement réservé aux travailleurs, venus notamment d’Asie, pour travailler sur les chantiers du Mondial de football 2022 dans des conditions plus que précaires. Lorsqu’on évoque avec lui la question de la réforme du droit du travail, Al-Mannai a insisté sur le fait que le Qatar reste « ouvert aux critiques » et que des progrès « considérables » ont été faits ces dernières années : « Ces dernières années, le Qatar a œuvré pour améliorer la situation des travailleurs. Nous avons fait des progrès considérables. Bien sûr, le système n’est pas encore parfait. »
Pas de boycott en vue
En début d’année, l’association Code Pink – un groupe d’anti-guerre internationale – a publié une lettre ouverte à l’attention du septuple champion du monde Lewis Hamilton pour lui demander de boycotter ou bien de faire une déclaration lors du Grand Prix d’Arabie Saoudite qui se tiendra au mois de décembre prochain. L’association Code Pink – ainsi que 44 autres associations de défense des droits de l’homme – a ainsi décidé de faire appel à l’un des acteurs les plus engagés de la Formule 1, qui défend depuis quelques temps maintenant le mouvement Black Lives Matter ou encore les problèmes liés à l’écologie.
On peut ainsi lire dans la lettre publiée par Code Pink : « Le meilleur pilote de Formule 1 refusant de concourir en Arabie saoudite ou de s’exprimer pourrait contribuer grandement à convaincre l’Arabie saoudite d’adhérer enfin aux droits de l’homme. Cela enverrait le message que le monde n’est pas aveugle à ce que MbS tente de « laver » ses crimes de guerre et ses violations des droits humains. »
« Nous espérons que vous tiendrez compte de ces questions et déciderez de ne pas courir en Arabie saoudite en 2021. Si vous faites la course, nous vous demandons de porter une chemise appelant à la libération de Loujain et / ou à la fin de la guerre au Yémen. Vous pouvez également publier une déclaration concernant le bilan de l’Arabie saoudite en matière de droits de l’homme. Votre courage pour vous exprimer sur les questions sociales est reconnu, et si vous choisissez de vous prononcer contre les crimes des dirigeants saoudiens, vous le ferez en solidarité avec tous les défenseurs des droits humains dans les prisons saoudiennes et des millions de personnes souffrant aux mains de MbS. au Yémen. »
We’re asking @LewisHamilton to stand with Yemen! ??
Today, we’re delivering over 4,000 signatures to @F1 racer @LewisHamilton, urging him to boycott or make a statement at the Saudi Grand Prix. #YemenCantWait pic.twitter.com/GIK13DhMoM
— CODEPINK (@codepink) February 24, 2021
La F1 peut avoir un impact positif
Les principaux responsables des équipes de Formule 1 ont également apporté leur soutien à la présence d’un Grand Prix en Arabie Saoudite, estimant que le sport peut avoir un impact positif dans le pays. Le patron de l’équipe Mercedes, Toto Wolff, a exprimé il y a quelques mois sa conviction que le sport pouvait conduire au progrès sur la question des droits de l’homme en Arabie Saoudite (tout comme au Qatar).
« Je pense que le sport doit nous unir et nous aider à nous emmener à un meilleur endroit. Je pense que l’on peut voir que nous courons dans le monde entier et il y a déjà eu des discussions positives autour de la Formule 1. J’ai été moi-même à Ryad en Formule E il y a un an et j’ai été impressionné par le changement que j’ai pu voir. » a déclaré Wolff.
« Il est vrai qu’en tant que visiteur, vous ne savez jamais comment les choses se passent réellement – mais de ce que j’ai pu voir – il s’agissait d’un grand évènement sans ségrégation, femmes et hommes étaient au même endroit et profitaient d’un événement sportif. Nous devons bien commencer quelque part, et de ce que j’ai vu, cela a déjà commencé et je pense que nous devrions faire tout ce que nous pouvons pour rendre le monde meilleur. »
Le directeur de l’équipe Ferrari, Mattia Binotto, a lui aussi estimé que l’arrivée de la Formule 1 en Arabie Saoudite ne peut être que positive pour faire avancer les choses : « C’est du sport, où qu’il soit et quel qu’il soit, c’est toujours positif et le sport a toujours un message positif à faire passer. Le sport peut apporter de la positivité, alors que je pense que c’est ainsi que nous devons le voir. Je pense que nous devons simplement comprendre que nous pouvons être un vecteur de positivité et que c’est important. » a déclaré Binotto.
Quant au patron de l’équipe Red Bull Racing, le Britannique Christian Horner, le sport et la politique ne doivent surtout pas se mélanger : « Je l’ai déjà dit à maintes reprises, lorsque nous nous inscrivons au championnat du monde, nous ne dictons pas où va le calendrier. » a déclaré le Britannique.
« Nous nous inscrivons pour courir à chaque course, et nous faisons confiance aux détenteurs des droits commerciaux [Liberty Media], ainsi qu’à l’organe directeur, pour avoir fait des recherches nécessaires et prendre les décisions qui conviennent pour le sport. Nous ne sommes pas une organisation politique, le sport ne doit jamais être considéré comme politique. Par conséquent, nous leur faisons confiance pour prendre les bonnes décisions, et où qu’ils choisissent de participer à une course, en nous inscrivant au championnat, nous serons présents et ferons de notre mieux pour performer à ces courses. »
Le Grand Prix du Qatar se déroule du 19 au 21 novembre, tandis que le Grand Prix d’Arabie Saoudite est programmé du 03 au 5 décembre à Djeddah.
Merci pour cet article fouillé, bien sourcé, et nuancé ! Et bravo pour avoir abordé le sujet.